Lucie avait reçu l’interdiction par ses parents sur ordre du curé de retourner à la Cova da iria. Aussi, le 13 juillet, alors qu’elle était plongée dans l’angoisse, François et Jacinthe de leur côté, s’inquiétaient, ne sachant comment ils agiraient sans leur cousine.

Mais quand approcha l’heure à laquelle elle devait partir pour la Cova da Iria, Lucie se sentit soudain poussée à s’y rendre par une force étrange à laquelle il lui était très difficile de résister. Elle se mit donc en chemin et passa par la maison de son oncle, pour voir si Jacinthe y était encore. Elle la trouva dans sa chambre, avec son frère François, à genoux au pied du lit et pleurant.

« Vous n’y allez pas ? leur demanda-t-elle.

– Sans toi, nous n’osons pas y aller. Allons, viens !

– Eh bien, j’y vais », leur répondit-elle.

Alors, le visage rayonnant de joie, ils partirent aussitôt tous les trois.

Écoutons le père de François et Jacinthe, Monsieur Marto, raconter, dans son langage simple et pittoresque, l’enchaînement rapide des événements :

« Je quittai la maison, résolu, cette fois, à voir ce qui se passait. À combien de reprises n’avais-je pas dit à ma commère Maria Rosa : “ Si les gens prétendent que ces choses sont des inventions des parents et des prêtres, personne ne sait mieux que vous et moi qu’il n’en est pas ainsi. Nous ne poussons pas les enfants à aller là-bas. Et Monsieur le Curé quant à lui… Il va jusqu’à dire que ce peuvent être des choses du démon !… ”

En réfléchissant ainsi, j’atteignis la route. Que de monde déjà !… 

Impossible d’approcher !… À un certain moment, deux hommes, l’un de Ramila, l’autre de notre village, firent un cercle autour des enfants pour leur dégager une place et, me voyant, ils me tirèrent par le bras, en déclarant :

– C’est le père des enfants ! Qu’il vienne au milieu !

Je me trouvai donc tout près de ma Jacinthe.

Lucie, agenouillée un peu plus en avant, récitait le chapelet, et tous répondaient à haute voix. Le chapelet terminé, elle se leva si rapidement qu’elle ne sembla pas agir d’elle-même. Elle regarda vers le levant et s’écria :

– Fermez les parapluies ! Fermez les parapluies ! (ils servaient d’ombrelles, car il était midi et la chaleur était accablante)… Notre-Dame arrive !

Pour moi, j’avais beau regarder, je ne voyais rien. Cependant, en faisant plus attention, je vis comme un léger nuage cendré, qui planait sur le chêne-vert. Le soleil s’obscurcit, et l’on sentit un souffle frais, agréable. Il ne semblait plus que nous étions au plus fort de l’été. La foule était tellement silencieuse qu’on en était impressionné.

Alors, je commençai à entendre un son, un bourdonnement, quelque chose comme le bruit que ferait une grosse mouche dans une cruche vide. Mais je n’entendais aucune parole. Rien !… Je pense que c’est un peu ce qui arrive quand on est à téléphoner, ce qui ne m’est jamais arrivé ! Mais qu’est-ce que c’est ? me demandais-je à moi-même. Est-ce que cela vient de loin, ou de tout près d’ici ?… Tout cela, pour moi, fut une grande confirmation du miracle. »

En vérité, la Très Sainte Vierge descendait du Ciel, une troisième fois, pour s’adresser à ses confidents.

En présence de la céleste vision, une allégresse incroyable, une paix immense, envahirent le cœur des enfants, spécialement de Lucie, qui restait muette d’étonnement. Avec une tendresse infinie, comme une mère penchée sur son petit enfant malade, la Vierge Marie posa un regard un peu triste sur Lucie, comme pour lui dire :

 « C’est moi… Je viens du Ciel… En enfer, il n’existe pas de blancheur, pas de lumière ; il ne s’y trouve aucune bonté, aucune douceur… »

Lucie demeurait absorbée dans sa contemplation, comme en extase. Alors, Jacinthe intervint :

« Allons, Lucie, parle ! Ne vois-tu pas qu’Elle est déjà là et qu’Elle veut te parler ? »

Humblement, comme pour implorer son pardon après avoir douté d’Elle, Lucie demanda une fois de plus :

« Que voulez-vous de moi ?

–Je veux que vous veniez ici le 13 du mois qui vient, que vous continuiez à réciter le chapelet tous les jours en l’honneur de Notre-Dame du Rosaire, pour obtenir la paix du monde et la fin de la guerre, parce qu’Elle seule pourra vous secourir. »

Lucie, pensant à sa mère qui ne voulait pas croire, aux gens qui se moquaient d’elle, à Monsieur le Curé qui prétendait que ce pourrait être une chose mauvaise, ajouta :

« Je voudrais vous demander de nous dire qui vous êtes, et de faire un miracle afin que tous croient que vous nous apparaissez.

–Continuez à venir ici tous les mois. En octobre, Je dirai qui Je suis, ce que Je veux, et Je ferai un miracle que tous verront pour croire. »

Tout heureuse et sans perdre de temps, Lucie se mit à présenter à la Vierge Marie les requêtes qu’on lui avait confiées. Notre-Dame répondit qu’elle guérirait les uns, les autres non.

Tous devaient réciter le chapelet, telle était la condition générale pour obtenir dans l’année les grâces demandées.

Puis la Vierge Marie recommanda de nouveau la nécessité du sacrifice, et confia aux enfants des paroles dont il leur faudrait conserver le secret :

« Sacrifiez-vous pour les pécheurs, et dites souvent à Jésus, spécialement lorsque vous ferez un sacrifice :

« Ô Jésus, c’est par amour pour vous, pour la conversion des pécheurs, et en réparation des péchés commis contre le Cœur Immaculé de Marie. »

Le 3 janvier 1944 Lucie continue à raconter avec précision :

« En disant ces dernières paroles, Elle ouvrit de nouveau les mains, comme les deux derniers mois. Le reflet (de la lumière) parut pénétrer la terre et nous vîmes comme un océan de feu. Plongés dans ce feu nous voyions les démons et les âmes (des damnés). Celles-ci étaient comme des braises transparentes, noires ou bronzées, ayant formes humaines. Elles flottaient dans cet incendie, soulevées par les flammes qui sortaient d’elles-mêmes, avec des nuages de fumée. Elles retombaient de tous côtés, comme les étincelles dans les grands incendies, sans poids ni équilibre, au milieu des cris et des gémissements de douleur et de désespoir qui horrifiaient et faisaient trembler de frayeur. (C’est à la vue de ce spectacle que j’ai dû pousser ce cri : “ Aïe ! ” que l’on dit avoir entendu de moi.) Les démons se distinguaient (des âmes des damnés) par des formes horribles et répugnantes d’animaux effrayants et inconnus, mais transparents comme de noirs charbons embrasés.

Cette vision ne dura qu’un moment, grâce à notre bonne Mère du Ciel qui, à la première apparition, nous avait promis de nous emmener au Ciel. Sans quoi, je crois que nous serions morts d’épouvante et de peur.

Effrayés, et comme pour demander secours, nous levâmes les yeux vers Notre-Dame qui nous dit avec bonté et tristesse :

–Vous avez vu l’enfer où vont les âmes des pauvres pécheurs. Pour les sauver, Dieu veut établir dans le monde la dévotion à mon Cœur Immaculé. Si l’on fait ce que je vais vous dire, beaucoup d’âmes se sauveront et l’on aura la paix. La guerre va finir. Mais si l’on ne cesse d’offenser Dieu, sous le règne de Pie XI, en commencera une autre pire. Quand vous verrez une nuit illuminée par une lumière inconnue, sachez que c’est le grand signe que Dieu vous donne qu’il va punir le monde de ses crimes, par le moyen de la guerre, de la famine et des persécutions contre l’Église et le Saint-Père.

Pour empêcher cela, je viendrai demander la consécration de la Russie à mon Cœur Immaculé et la Communion réparatrice des premiers samedis du mois. Si l’on écoute mes demandes, la Russie se convertira et l’on aura la paix. Sinon elle répandra ses erreurs à travers le monde, provoquant des guerres et des persécutions contre l’Église. Les bons seront martyrisés, le Saint-Père aura beaucoup à souffrir, plusieurs nations seront anéanties. « 

C’est alors que les trois voyants virent une autre vision qui devait, d’ordre de la Sainte Vierge, être révélée par le pape au plus tard en 1960, mais qui le fut seulement quarante ans après, le 26 juin 2000. C’est une révélation symbolique conditionnée par la réponse ou la non-réponse aux demandes que la Sainte Vierge venait d’exprimer au nom de Dieu, qui veut sauver les âmes de l’enfer par le moyen de la dévotion au Cœur Immaculé de Marie.

Nous vîmes à gauche de Notre-Dame, un peu plus haut, un Ange avec une épée de feu à la main gauche ; elle scintillait, émettait des flammes qui paraissaient devoir incendier le monde ; mais elles s’éteignaient au contact de l’éclat que, de sa main droite, Notre-Dame faisait jaillir vers lui : l’Ange, désignant la terre de sa main droite, dit d’une voix forte :

“ Pénitence, Pénitence, Pénitence ! ”

Et nous vîmes dans une lumière immense : “ quelque chose de semblable à l’image que renvoie un miroir quand une personne passe devant ” : un Évêque vêtu de Blanc.

“ Nous eûmes le pressentiment que c’était le Saint-Père. ”

Plusieurs autres Évêques, Prêtres, religieux et religieuses gravissaient une montagne escarpée, au sommet de laquelle était une grande Croix de troncs bruts comme si elle était en chêne-liège avec l’écorce ; le Saint-Père, avant d’y arriver, traversa une grande ville à moitié en ruine et, à moitié tremblant, d’un pas vacillant, affligé de douleur et de peine, il priait pour les âmes des cadavres qu’il trouvait sur son chemin ; parvenu au sommet de la montagne, prosterné à genoux au pied de la grande Croix, il fut tué par un groupe de soldats qui lui tirèrent plusieurs coups et des flèches, et de la même manière moururent les uns après les autres les Évêques, Prêtres, religieux et religieuses, et divers laïcs, des messieurs et des dames de rangs et de conditions différentes.

Sous les deux bras de la Croix, il y avait deux Anges, chacun avec un vase de cristal à la main, dans lequel ils recueillaient le sang des Martyrs, et avec lequel ils arrosaient les âmes qui s’approchaient de Dieu. »

Cette vision constitue la troisième partie du Secret de Fatima. La première est la vision de l’enfer, et la deuxième se rapporte à la nécessité vitale de la dévotion au Cœur Immaculé de Marie à à la consécration de la Russie à son cœur Immaculé. Bien qu’il soit ainsi divisé en trois éléments, il s’agit d’un unique Secret, tout entier révélé par Notre-Dame aux trois pastoureaux, lors de l’apparition du 13 juillet 1917.

Reprenons le récit de cette apparition :

« À la fin mon Cœur Immaculé triomphera. Le Saint-Père me consacrera la Russie qui se convertira et il sera donné au monde un certain temps de paix.

« Au Portugal se conservera toujours le dogme de la foi, etc.

« Cela ne le dites à personne. À François, oui, vous pouvez le dire.

« Quand vous récitez le chapelet, dites après chaque mystère :

« Ô mon Jésus, pardonnez-nous nos péchés, sauvez-nous du feu de l’enfer, attirez au Ciel toutes les âmes, surtout celles qui en ont le plus besoin. »

En face des réalités terribles qu’ils venaient de voir et d’entendre, les enfants restèrent sans parole, comme privés de leurs sens.

Après quelques instants de silence, Lucie cependant posa une dernière question :

« Avez-vous autre chose à me demander ?

–Non, aujourd’hui je ne te demande rien de plus. »

« On entendit à ce moment-là, se souvient Monsieur Marto, quelque chose comme un grand coup de tonnerre, et l’arceau, qu’on avait planté là pour y accrocher deux petites lanternes, trembla tout entier, comme s’il y avait eu un tremblement de terre. Lucie, qui était encore à genoux, se leva, et se tourna si vite que sa jupe se souleva comme un ballon. Elle s’écria, en montrant le ciel :

– Elle s’en va ! Elle s’en va !

Et après quelques instants :

– On ne la voit déjà plus.

Je tirai de cela aussi une grande preuve. »

L’entretien était terminé, et la Vierge, comme le 13 mai et le 13 juin, s’était élevée vers le même point du ciel d’où Elle était venue, jusqu’à disparaître dans l’immensité bleue.

Lorsque se fut dissipé le nuage cendré qui planait sur le chêne-vert, et que tout le monde se fut remis de ses émotions, les enfants se virent plus que jamais entourés et harcelés de questions.

« Oh, Lucie ! Qu’est-ce que Notre-Dame t’a dit pour que tu sois devenue si triste ? lui demanda quelqu’un.

– C’est un secret, répondit-elle.

– Mais c’est une chose bonne ?

– Pour les uns, elle est bonne, pour les autres, mauvaise.

– Tu ne peux pas le dire ? insistait-on.

– Non, je ne peux pas le dire ! »

C’est que l’ordre de Notre-Dame retentissait encore à ses oreilles :

« Cela, ne le dites à personne ! »

La foule serrait les enfants, au point de les étouffer.

Tout rouge, en sueur, et d’un geste rapide, Monsieur Marto s’ouvrit un passage en jouant violemment des coudes puis, enlevant Jacinthe dans ses bras, il la porta jusqu’à la route, en la protégeant du soleil brûlant avec son chapeau. Il se rendait bien compte que les enfants avaient été fortement impressionnés par la vision de l’enfer, entendre les hurlements des damnés et des démons, là, tout près d’eux !!

Lucie, pour sa part, apprendrait bientôt que sa mission de messagère du Ciel serait de rappeler à notre siècle impie et apostat que l’enfer existe, que des multitudes d’âmes y tombent pour leur tourment éternel, et que la Vierge Marie a voulu montrer cette réalité à trois enfants, en prévision de l’incrédulité qui irait croissant à notre époque… jusqu’à déclarer que l’enfer n’existe pas ou qu’il n’y a personne dedans. Prétendre cela après la vision de l’enfer en 1917 ? Impossible !

La voyante est fidèle aux paroles de la Sainte Vierge qui se fait notre catéchiste, nous pouvons donc la croire ! Lucie témoignera sa vie durant, avec toute son énergie, de ce qu’elle a vu en ce 13 juillet 1917.

Elle déclarera à maintes reprises, à des journalistes ou dans sa correspondance : « La terre s’ouvrit et nous nous trouvions, pour ainsi dire, au-dessus de l’enfer comme quelqu’un qui, sur une falaise, se trouverait au-dessus de la mer (…). J’entendais les cris. Il m’a semblé que l’enfer était tout près. »

« Nombreux sont ceux qui se damnent… Beaucoup se perdront… Ne soyez pas surpris si je vous parle tant de l’enfer. C’est une vérité qu’il est nécessaire de rappeler beaucoup dans les temps présents, parce qu’on l’oublie : c’est en tourbillon que les âmes tombent en enfer. Eh quoi ? Vous ne trouvez pas bien employés tous les sacrifices qu’il faut faire pour ne pas y aller et empêcher que beaucoup d’autres y tombent ? »