Lucie, Jacinthe et François avaient hâte qu’arrive enfin le jour de l’Apparition de Notre-Dame. Des souffrances et des luttes pénibles mettaient constamment à l’épreuve leur patience, déjà héroïque.
On se moquait de plus belle des “ visionnaires ”, de cette Dame qui se promenait le treize de chaque mois au-dessus des arbres. On les menaçait, comme s’ils avaient été des criminels.
Le mépris qu’ils rencontraient de la part des gens du hameau, dont certains, rappelons-le, ne se gênaient pas pour battre Lucie, les humiliait profondément. L’attitude du Curé de la paroisse, d’une froideur qui confinait à l’hostilité, ainsi que celle des autres prêtres des environs, torturait leurs âmes sensibles.
Le nombre des gens qui croyaient aux Apparitions augmentait néanmoins d’une manière extraordinaire. Le 13 septembre, il y eut donc un grand afflux de pèlerins. La Cova da Iria était, pour les âmes simples et dévotes, un centre d’attraction irrésistible. Dès l’aube, toutes les routes menant à Fatima étaient noires de monde. On dénombra ce jour-là entre vingt-cinq mille et trente mille personnes. La plupart des pèlerins récitaient pieusement leur chapelet.
Parmi cette multitude de pèlerins, il y avait cette fois, fait notable, quelques prêtres ainsi qu’un certain nombre de séminaristes.
Pour sa part, Lucie donna, avec sa modestie ordinaire, ce récit émouvant qui nous dépeint un véritable tableau d’Évangile :
« Quand le moment fut venu, je m’en allai là-bas avec Jacinthe et François, au milieu des nombreuses personnes qui nous laissaient à peine avancer et qui, toutes, voulaient nous voir et nous parler. Beaucoup de gens du peuple, et même des dames et des messieurs, fendant la foule qui se pressait autour de nous, venaient s’agenouiller devant nous, en nous priant de présenter à Notre-Dame leurs intentions.
« On voyait là toutes les misères de la pauvre humanité. Certains criaient même du haut des arbres ou des murs sur lesquels ils étaient montés pour nous voir passer.
Les trois petits arrivèrent enfin près du chêne-vert, et Lucie, comme de coutume, demanda que l’on récite le chapelet avec elle. Tous se mirent donc à genoux, riches et pauvres, et répondirent à haute voix aux Ave Maria.
« À midi, raconte M. l’abbé Quaresma témoin de la scène, le silence se fit dans cette multitude. On n’entendait plus que le murmure des prières.
« Subitement, des cris de joie retentissent, des bras s’élèvent, et montrent quelque chose dans le ciel :
– Regardez !… Ne voyez-vous pas ?
– Si, je vois !…
« La satisfaction brillait dans les yeux de ceux qui voyaient. Le ciel était bleu, sans aucun nuage. Je levai aussi les yeux, et je me mis à scruter l’immensité du firmament, pour voir ce que d’autres yeux, plus heureux que les miens, avaient déjà contemplé. À mon grand étonnement, je vis alors, clairement et distinctement, un globe lumineux, se déplaçant du levant vers le couchant, et glissant majestueusement dans l’espace… Soudain, le globe, avec sa lumière extraordinaire, disparut à nos yeux. Près de nous, se trouvait une petite fille, habillée comme Lucie, et à peu près du même âge. Toute joyeuse, elle continuait à crier :
– Je le vois encore… Je le vois encore… Maintenant, il descend ! » … Il se dirigeait en effet vers le chêne-vert de l’Apparition.
Alors, l’éclat du soleil diminua, l’atmosphère devint jaune d’or, comme les fois précédentes. Le jour baissa tellement que certains rapportèrent avoir distingué les étoiles dans le ciel.
Lucie interrogea la Vierge Immaculée : « Que veut de moi Votre Grâce ?
– Continuez à dire le chapelet afin d’obtenir la fin de la guerre. En octobre, Notre-Seigneur viendra ainsi que Notre-Dame des Douleurs et du Carmel, Saint Joseph avec l’Enfant-Jésus afin de bénir le monde. Dieu est satisfait de vos sacrifices, mais il ne veut pas que vous dormiez avec la corde. Portez-la seulement pendant le jour.
– Il y a beaucoup de gens qui disent que je suis une menteuse, que je mériterais d’être pendue ou brûlée. Faites un miracle, pour que tous croient !
– Oui, en octobre, Je ferai le miracle pour que tous croient. »
Et Elle commença à s’élever, disparaissant comme d’habitude. Lucie s’écria alors :
« Si vous voulez La voir, regardez par là ! »
Et elle montra du doigt la direction du levant. Alors, de nouveau, l’on vit le globe lumineux, de forme ovale, prendre son essor et s’éloigner de la Cova da Iria en direction de l’orient. Céleste véhicule qui semblait reconduire la Reine des Anges à sa demeure éternelle.
Pendant le temps de l’Apparition, la plupart des pèlerins avaient joui d’un merveilleux spectacle : ils virent tomber du ciel comme une pluie de pétales blancs, ou de flocons de neige ronds et brillants qui descendaient lentement et disparaissaient en arrivant à terre.
De toutes parts, en effet, on entendait des cris de joie et des louanges à Notre-Dame. Certains, cependant, n’avaient rien vu, telle cette femme, simple et pieuse, qui pleurait amèrement en répétant, désolée :
« Je n’ai rien vu… »
La privation de cette consolation fut, pour ces pèlerins-là, une dure épreuve. Il leur restait à faire confiance, aveuglément, à la parole de Notre-Dame, et à continuer d’espérer fermement être plus heureux le 13 octobre.
Elle était revenue ! Comme Elle était fidèle ! Et Elle avait confirmé la proche venue de Notre-Seigneur, de Saint Joseph et de l’Enfant-Jésus ! Assurément, cette Apparition du 13 octobre serait plus éclatante encore que les précédentes. Encore plus belle ? Était-ce possible ?
François avait hâte d’interroger Lucie afin de connaître avec précision les paroles de la Vierge Marie qu’il n’avait pas entendues. Il était avide de comprendre les volontés de la Reine du Ciel et non moins empressé d’y correspondre, en bon enfant de Marie.
Jacinthe, elle, avait encore dans l’oreille la voix si douce, si nette de l’Immaculée. Le premier souci de cette tendre Mère n’avait-il pas été de transmettre le contentement de leur bon Père Céleste pour leurs sacrifices ? Le bon Dieu était satisfait. Quelle parole merveilleuse et si encourageante ! Voici que Dieu à son tour consolait ses consolateurs. Quelle intimité entre le Père Éternel et ses dévoués serviteurs !
Quelle sollicitude aussi ! Les paroles de la Dame résonnaient dans le cœur de Jacinthe avec un accent maternel inoubliable : « … mais Il ne veut pas que vous dormiez avec la corde. » Lucie avait donc eu raison de conseiller à sa cousine de proportionner ce sacrifice à ses forces. Jacinthe, sans doute dès ce soir-là, abaissa son regard sur le gros nœud qui tenait lié à sa taille ce rude instrument de pénitence et le délia, par obéissance. Par obéissance, elle s’imposerait de renouer la corde le lendemain matin puisque telle était la volonté du bon Dieu : « Portez-la seulement pendant le jour. » Le frottement de la corde raviverait alors l’écorchure de la peau, mais qu’était-ce en comparaison des épines que Jacinthe avait vues s’enfoncer dans le Cœur si tendre de la Vierge Immaculée ? Puisque sa Mère souffrait, l’enfant voulait partager et apaiser cette souffrance par son propre sacrifice volontaire. La force, l’un des sept dons du Saint-Esprit, enhardissait son âme.
De son côté, en grande fille déjà sérieuse, Lucie se rappelait surtout le visage grave de la Vierge Marie : Elle n’avait pas non plus souri cette fois-ci, à aucun moment.
L’important, c’était le prochain rendez-vous, avec cette promesse du grand miracle…