La sainteté de Thérèse ne repose pas sur des phénomènes extraordinaires. Elle consiste à « faire de manière extraordinaire des choses tout ordinaires ! »
On a beaucoup de mal à se rendre compte que la vie de Thérèse Martin fut ordinaire. Parce qu’elle est devenue sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus de la Sainte Face, connue dans le monde entier, avec de très nombreux titres (Patronne universelle des missions, patronne secondaire de France, Docteur de l’Église, etc.), on oublie qu’elle est passée inaperçue de sa famille, de son entourage, de son Carmel, de son père spirituel, de son évêque, … Certes, à Lisieux, on a pu parler d’une jeune fille qui, à 14 ans, a eu l’audace de solliciter le Pape Léon XIII lors d’une audience à Rome pour demander d’entrée au Carmel avant l’âge requis (un journal national l’avait signalé). Mais lorsqu’elle mourut, inconnue, dans un petit Carmel de province, il n’y avait guère que 30 personnes à son enterrement au cimetière de Lisieux. A sa canonisation à Saint Pierre de Rome, il y en aura 50.000, le 17 mai 1925. Alors ?
Alors, oui, une vie très ordinaire et très cachée.
Une famille chrétienne, à Alençon, le père Louis Martin, horloger-bijoutier, la mère, Zélie Guérin, dentellière. Ils ont eu neuf enfants dont quatre sont morts en bas-âge. Voilà qu’à quarante ans, la maman est enceinte : Thérèse naît le 2 janvier 1873. Petite fille gaie, vivante, elle a une vie heureuse, comblée d’amour par ses parents et ses sœurs. La petite dernière reçoit de sa famille une foi profonde, vivante, charitable. Tout va bien, jusqu’au drame : Zélie Martin meurt d’un cancer du sein. Thérèse a quatre ans et demi.
Le choc est très fort pour la petite Thérèse. Elle choisit sa sœur Pauline comme seconde mère mais la blessure est profonde et mettra dix ans à se cicatriser.
Ayant cinq filles à élever, Monsieur Martin cède aux insistances de son beau-frère Isidore Guérin, pharmacien à Lisieux. Toute la famille Martin s’installe aux Buissonnets. C’est une demeure retirée, où les Martin vivent dans la solitude à l’écart de la ville. Thérèse, petite fille enjouée au caractère bien trempé devient après la mort de sa mère « timide et douce, sensible à l’excès ».
Thérèse y trouve une ambiance chaleureuse mais les cinq années où elle va aller à l’école chez les Bénédictines resteront pour elle « les plus tristes de sa vie ». Bonne élève mais timide, scrupuleuse, vivant mal les heurts de la vie scolaire…
Le départ de sa sœur Pauline au Carmel de Lisieux lui fait à nouveau ressentir le manque de « mère ». Thérèse a dix ans, elle tombe gravement malade : symptômes alarmants d’une régression infantile, hallucinations, anorexie. La médecine renonce. Les familles, le Carmel prient. Le 13 mai 1883, une statue de la Vierge Marie sourit à Thérèse qui est guérie subitement.
L’année suivante, 8 juin 1884, sa première communion est pour elle une « fusion » d’amour. Jésus se donne enfin à elle et elle se donne à Lui. Elle pense déjà à être carmélite. Le départ au Carmel de sa troisième « mère », sa sœur Marie, la déstabilise. Elle souffre d’une grave crise de scrupules obsédants, elle demeure hypersensible et « pleureuse à l’excès ».
Elle aspire à mûrir et à être libérée. La nuit de Noël 1886, la grâce touche son cœur. C’est une véritable « conversion » qui la transforme en femme forte. L’Enfant de la crèche, le Verbe de Dieu, lui a communiqué sa force dans l’Eucharistie.
La voici prête à combattre pour le Carmel, à franchir tous les obstacles : son père, son oncle, l’aumônier du monastère, l’Évêque, le Pape Léon XIII.
Car la grâce lui a ouvert le cœur et elle veut sauver les pécheurs avec Jésus qui, sur la Croix, a soif des âmes. Thérèse, à quatorze ans et demi, décide de rester au pied de cette Croix pour « recueillir le sang divin et le donner aux âmes. » Telle est sa vocation : « aimer Jésus et Le faire aimer. »
En juillet 1887, à l’issue d’une messe du dimanche à la Cathédrale Saint Pierre, elle reçoit la révélation de sa mission : sauver des âmes par la prière et le sacrifice.
C’est alors qu’elle entend parler d’un assassin qui a tué trois femmes à Paris, elle prie et se sacrifie pour lui, voulant à tout prix l’arracher à l’enfer. Henri Pranzini est jugé, condamné à être guillotiné. Il refuse toutes les visites de l’aumônier de la prison. Mais au moment de mourir, il embrasse le crucifix ! Thérèse pleure de joie : exaucée, elle le nomme son « premier enfant ».
Lors de son voyage en Italie, Thérèse s’aperçoit qu’en dehors de leur « sublime vocation », les prêtres ne sont pas toujours parfaits. Elle saisit qu’il faut beaucoup prier pour eux car ce sont des hommes « faibles et fragiles ». Thérèse comprend que sa vocation n’est pas seulement de prier pour la conversion des grands pécheurs mais aussi de prier pour les prêtres.
Le 9 avril 1888, à 15 ans et 3 mois elle entre au Carmel et quitte à jamais son père, ses sœurs, la maison des Buissonnets, son chien Tom…
Heureuse d’être là « pour toujours », « prisonnière » avec Lui… et 24 sœurs. La vie communautaire, le froid, la prière souvent dans la sécheresse, la solitude affective (même si elle retrouve deux de ses sœurs), elle supporte tout avec ardeur. Elle fait l’apprentissage de la vie rude du carmel : « J’ai trouvé la vie religieuse telle que je me l’étais figurée… mes premiers pas ont rencontré plus d’épines que de roses… je veux parler du manque de jugement, d’éducation, de la susceptibilité de certains caractères, toutes choses qui ne rendent pas la vie très agréable… Une parole, un sourire aimable, suffisent souvent pour épanouir une âme triste. »
Sa plus grande souffrance va être la maladie de son père bien-aimé, interné au Bon Sauveur de Caen, hôpital pour malades mentaux. Nouveau drame familial pour Thérèse. Elle s’enfonce dans la prière sur le chemin de la passion de Jésus. Mais le climat spirituel de son Carmel, marqué d’une crainte diffuse de Dieu, vu d’abord comme justicier, lui pèse. Elle aspire à l’Amour quand elle lit la Vive Flamme d’Amour de Saint Jean de la Croix. En 1891 (elle a dix-huit ans), un prêtre la lance « sur les flots de la confiance et de l’Amour » sur lesquels elle n’osait avancer, étant plutôt retenue sur ce chemin audacieux, même par sa sœur Pauline, Mère Agnès de Jésus, qui deviendra prieure en 1893.
Son père, revenu dans sa famille, meurt en 1894 : Céline qui le soignait entre à son tour au Carmel.
C’est vers cette époque que la jeune sœur Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte-Face (tel est son vrai nom, résumé de sa vocation), découvre, après des années de recherche, la voie de l’enfance spirituelle qui va transformer sa vie. Elle reçoit la grâce d’approfondir la Paternité de Dieu qui n’est qu’Amour Miséricordieux (exprimé en son Fils Jésus incarné). La vie chrétienne n’est autre que la vie d’enfant du Père (« fils dans le Fils »), inaugurée au baptême et vécue dans une confiance absolue. « Si vous ne redevenez pas comme des petits enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume de Dieu », dit Jésus (Mt 18,3). Par chance, Mère Agnès lui ordonne d’écrire ses souvenirs d’enfance. Thérèse obéit et écrit 86 pages dans un petit cahier.
Alors qu’à son époque les âmes d’élite (rares) s’offraient en victimes à la Justice de Dieu, la « faible et imparfaite » Thérèse s’offre à son Amour Miséricordieux, le 9 juin 1895 au cours de la messe de la Trinité : « O Jésus, mon Amour… ma vocation enfin je l’ai trouvée, ma vocation, c’est l’Amour ! Oui j’ai trouvé ma place dans l’Église et cette place, ô mon Dieu, c’est vous qui me l’avez donnée… dans le Cœur de l’Église je serai l’Amour… ainsi je serai tout… ainsi mon rêve sera réalisé !!!… ».
Dans la nuit du jeudi au vendredi saint 1896, Thérèse crache du sang, ce qu’elle perçoit « comme un doux et lointain murmure qui m’annonçait l’arrivée de l’Epoux ».
De plus en plus hantée par le souci des pécheurs qui ne connaissent pas cet Amour Miséricordieux, elle entre à Pâques 1896 dans une nuit épaisse où sa foi et son espérance doivent combattre. D’autant plus qu’une tuberculose ronge sa santé et l’affaiblit. « Mon âme fût envahie par les plus épaisses ténèbres et… la pensée du Ciel si douce pour moi ne fut plus qu’un sujet de combat et de tourment…»
Elle use ses dernières forces à enseigner la voie d’enfance aux cinq novices dont elle a la charge et à deux frères spirituels, prêtres missionnaires en Afrique et en Chine.
Vivant cette « compassion », en union avec la Passion de Jésus à Gethsémani et à la Croix, épuisée par des hémoptysies, elle garde son sourire et son exquise charité qui remonte le moral de ses sœurs, consternées de la voir mourir dans d’atroces souffrances. Prophétisant humblement que sa mission posthume sera de « donner sa petite voie aux âmes » et de « passer son Ciel à faire du bien sur la terre », elle meurt le 30 septembre 1897 à l’âge de 24 ans.
« Je ne meurs pas, j’entre dans la vie. »
Un an après sa mort, paraissait un livre composé à partir de ses écrits : l’Histoire d’une âme qui allait conquérir le monde et faire connaître cette jeune sœur qui avait aimé Jésus jusqu’à « mourir d’amour ». Cette vie cachée allait rayonner sur l’univers. Cela dure depuis plus de cent ans…
Le 17 mai 1925, Pie XI, entouré de 23 cardinaux et de 250 évêques, procède à la canonisation de Thérèse. Parmi les 50.000 fidèles venus à Rome, seulement 5.000 purent entrer dans la Basilique Saint-Pierre de Rome et entendre le pape prononcer la formule solennelle déclarant qu’on pouvait désormais appeler l’humble carmélite de Lisieux : « Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus ».