« Je vis alors le saint ménage commencer une vie toute nouvelle. Ils voulaient sacrifier à Dieu tout le passé, et faire comme s’ils se réunissaient pour la première fois ; ils s’efforcèrent, dès lors, par une vie agréable à Dieu, de faire descendre sur eux cette bénédiction qui était le seul objet de leurs désirs.
Je les vis tous deux visiter leurs troupeaux et en faire trois parts, comme faisaient leurs parents : pour le temple, pour les pauvres et pour eux-mêmes. Ils faisaient conduire au temple ce qu’il y avait de mieux ; les pauvres recevaient un bon tiers ; ils conservaient pour eux la moins bonne part, et ils faisaient ainsi pour tout. Leur maison était assez spacieuse ; ils vivaient et dormaient dans de petites chambres séparées où je les voyais très souvent, chacun de son côté, prier avec une grande ferveur. Je les vis vivre ainsi longtemps ; ils donnaient de grandes aumônes, et chaque fois qu’ils partageaient leurs troupeaux et le reste de leur avoir, tout se multipliait de nouveau rapidement. Ils vivaient modestement dans les privations et le renoncement. Je les voyais aussi, lorsqu’ils priaient, mettre des habits de pénitence ; et, plusieurs fois, je vis Joachim visitant ses troupeaux dans des endroits éloignés, et priant Dieu dans la prairie.
Ils persévérèrent dans cette vie austère menée en présence de Dieu, pendant dix-neuf ans après la naissance de leur premier enfant ; ils désiraient ardemment la bénédiction promise, et leur tristesse allait toujours croissant. Je vis des hommes pervers du pays, venir vers eux et les injurier, leur disant : » Qu’ils devaient être des méchants, puisqu’ils ne pouvaient pas avoir d’enfants ; que la petite fille ramenée chez les parents d’Anne n’était pas à eux ; qu’Anne était stérile ; qu’elle avait supposé cet enfant, qu’autrement elle l’aurait avec elle » ; et ainsi de suite. Ces paroles redoublaient l’abattement des pieux époux.
Anne avait la ferme croyance et la certitude intérieure que l’avènement du Messie était proche et qu’elle appartenait à la famille qui devait être selon la chair celle du Sauveur. Elle priait et appelait à grands cris l’accomplissement de la promesse, et continuait, ainsi que Joachim, à tendre vers une pureté de plus en plus parfaite. La honte de sa stérilité l’attristait profondément ; elle pouvait à peine se montrer à la synagogue sans y recevoir quelque affront.
Joachim, quoique petit et maigre, était pourtant robuste. Anne aussi n’était pas grande, et sa complexion était délicate ; le chagrin la consumait à tel point, que ses joues étaient devenues creuses, quoique toujours assez colorées. »
Les illuminations du 8 décembre ont commencé à Lyon, la ville dans laquelle j’ai habité plus de cinquante ans, elles sont liées au culte de la Vierge Marie.
La ville de Lyon vénère la Sainte Vierge depuis le Moyen Âge et s’est mise sous sa protection en 1643, année où le sud de la France était touché par la peste : les échevins de Lyon, le prévôt des marchands et les notables firent alors vœu de rendre hommage chaque année à la Vierge si l’épidémie de peste cessait.
Comme l’épidémie cessa, le peuple tint sa promesse et rendit hommage à la Vierge, par un cortège solennel municipal qui se rendait depuis la cathédrale Saint-Jean au sanctuaire de la Vierge sur la colline de Fourvière chaque 8 septembre, jour de consécration de la ville à la Vierge Marie, jour aussi de la fête de sa Nativité, pour lui offrir cierges et écus d’or.
En 1852 c’est le 8 décembre qui fut choisi, pour inaugurer la statue de la Sainte Vierge posée sur le clocher de l’ancienne chapelle de Fourvière, inauguration qui aurait dû avoir lieu le 8 septembre précédent, mais qui fut reportée pour des raisons météorologiques. Des feux d’artifice étaient prévus pour ce 8 décembre, mais une pluie torrentielle s’abattit sur la ville ; cependant, les Lyonnais, ayant déjà attendu trois mois, ne voulurent pas annuler la fête et allumèrent les lumignons qu’ils avaient préparés.
« Tout à coup apparaissent à quelques fenêtres inconnues des lignes de feu… La ville s’était embrasée en un instant. Bientôt, il ne restait plus, sur la vaste étendue des quais, des rues, des passages ignorés et des cours invisibles, aucune fenêtre obscure. Quelques feux de Bengale s’allumèrent sur les toits de la chapelle de Fourvière, la statue de la Vierge apparut et la grosse cloche de Saint Jean, fut lancée à toute volée. A huit heures, la population entière était dans la rue, circulant, paisible, joyeuse et attendrie. On se serrait la main sans se connaître, on chantait des cantiques, on applaudissait, on criait : « Vive Marie ! » Les étrangers n’en revenaient pas de leur surprise, et les Lyonnais, tout remplis qu’ils étaient de cette fête improvisée, se demandaient comment, en un instant, une population de trois cent mille âmes avait pu être saisie de la même pensée ».
L’événement éphémère d’une nuit devint institution. On prépara avec soin les illuminations du 8 décembre 1853. Quant à celles de 1854, elles furent un triomphe, car elles coïncidaient avec la proclamation par le Pape Pie IX, à Rome, du dogme de l’Immaculée Conception. Les Lyonnais avaient la fierté des précurseurs.
Depuis, chaque année, le soir du 8 décembre, les Lyonnais illuminent leur ville pour la fête de l’Immaculée Conception.
Mais de nos jours cette fête est devenue la fête des Lumières, la ville expose son savoir-faire pour le vendre et l’exporter ; bien peu de gens célèbrent la Vierge Marie. Dans une sorte de débauche de jeux de lumières, magnifiques il est vrai, il n’est plus question de célébrer ou de témoigner de la reconnaissance d’une ville envers l’Immaculée Conception. Les visiteurs et les curieux viennent jouir d’un spectacle profane. Le monde libéral consumériste a fait son travail de sape ! Dieu et sa Sainte Mère sont laissés de côté pour ne plus penser qu’aux plaisirs et au Commerce. Sainte Vierge Marie ayez pitié de tous ceux qui ne savons plus vous demander votre protection !
« Le premier enfant qu’Anne mit au monde dans la maison de son père fut une fille, mais qui n’était pas l’enfant de la promesse. Les signes qui avaient été prédits ne se montrèrent pas à sa naissance, qui se trouva liée à quelques circonstances pénibles. Je vis, par exemple, qu’Anne, pendant sa grossesse, éprouva du chagrin de la part de ses gens. Une de ses servantes avait été séduite par un parent de Joachim. Anne, très troublée de voir ainsi violée la stricte discipline de sa maison, reprocha un peu vivement sa faute à cette fille. Celle-ci prit son malheur trop à cœur et accoucha avant terme d’un enfant mort. Anne fut inconsolable de cet accident ; elle craignit d’en avoir été la cause, et il s’ensuivit qu’elle-même accoucha avant terme ; mais sa fille vécut. Comme cette enfant n’avait pas le signe de la promesse et qu’elle était née prématurément, Anne vit là une punition de Dieu, et fut extrêmement troublée, car elle croyait s’être rendue coupable. Toutefois, les parents accueillirent avec une joie sincère la naissance de l’enfant, qui fut appelée Marie Héli. C’était une enfant aimable, pieuse et douce. Ses parents l’aimaient beaucoup ; mais il restait en eux quelque trouble et quelque inquiétude, parce qu’ils reconnaissaient qu’elle n’était pas ce fruit béni de leur union qu’ils avaient attendu. Cette petite Marie grandit entourée de ses parents, grands-parents, ainsi que d’une nombreuse parenté.
Anne et Joachim firent longtemps pénitence et vécurent souvent séparés l’un de l’autre. Anne était devenue stérile, ce qu’ils regardaient comme le résultat de leurs fautes, et cela les portait à redoubler leurs bonnes œuvres. Je les vis souvent, chacun de leur côté, faire de ferventes prières, puis vivre à part l’un de l’autre pendant de longs intervalles, donner des aumônes et envoyer des victimes au temple.
Ils vécurent ainsi sept ans chez le père d’Anne, Eliud, ce que je pus voir à l’âge du premier enfant, lorsqu’ils se décidèrent à se séparer de leur famille et à s’établir dans une maison avec quelques terres attenantes, qui leur était venue des parents de Joachim, et qui était située dans les environs de Nazareth. Ils avaient l’intention d’y recommencer à nouveau, dans la solitude, leur vie conjugale, et d’attirer la bénédiction de Dieu sur leur union par une conduite qui pût être plus agréable encore à ses yeux. Je vis prendre cette résolution en famille. Ils partagèrent les troupeaux et mirent de côté, pour le nouveau ménage, des bœufs, des ânes et des moutons. On chargea les bœufs et les ânes, qui étaient devant la porte, de provisions, d’ustensiles et d’effets de toute espèce.
Quand tout fut prêt, les valets et les servantes se mirent en marche et poussèrent devant eux les troupeaux et les bêtes de charge jusqu’à la nouvelle habitation qu’il leur fallait préparer à cinq ou six lieues de là. Anne et Joachim, après avoir pris congé de tous les amis et serviteurs avec toute sorte de remerciements et de recommandations, quittèrent la maison d’Eliud qu’ils avaient habité jusqu’alors, pleins d’émotions et de pieuses résolutions. La mère d’Anne ne vivait plus, mais je vis pourtant des membres de la famille des deux époux les accompagner vers leur nouvelle demeure. Marie Héli, leur fille aînée, âgée d’environ six ou sept ans, faisait aussi partie du cortège. Le père d’Anne, Eliud, semblait s’être remarié.
Quand les parents eurent installé leurs enfants dans leur nouvelle demeure, ils prirent congé d’Anne et de Joachim, qu’ils embrassèrent et bénirent, et ils reprirent le chemin de leur maison, ramenant avec eux la petite Marie Héli qui revenait avec ses grands-parents, ca qui avait été décidé avec l’accord de tous, y compris Marie Héli qui, comprenant la nécessité qu’éprouvait ses parents à vivre retirés, dans la prière, préférait rester avec ses grands-parents, ses tantes, Mahara et Sobé, son cousin Eliud et les ami(e)s de son village. Elle rendrait fréquemment visite à ses parents, Anne et Joachim.
Le Protévangile de St Jacques raconte la rencontre entre Anne et Joachim, éleveur venu faire sacrifier des bêtes de son troupeau au Temple. Or il devait au préalable laver ses moutons dans la piscine de Bethseda près de la Porte des Brebis et Anne se tenait à cette porte de la ville, si bien qu’elle vit Joachim arriver avec ses troupeaux.
D’après Anne Catherine Emmerich « Joachim et Anne furent mariés dans une petite bourgade. Anne avait alors dix-neuf ans. Ils habitèrent chez Eliud, le père d’Anne. Sa maison dépendait de la ville de Sephoris. Ils vécurent là plusieurs années. Tous les deux avaient quelque chose de distingué dans leur manière d’être ; ils avaient bien l’air tout à fait juif, mais il y avait en eux je ne sais quoi qu’ils ne connaissaient pas eux-mêmes : leur gravite était merveilleuse. Je les ai vus rarement rire, quoique dans les commencements de leur mariage ils ne fussent pas précisément tristes. Leur caractère était tranquille et égal, et dès leur jeunesse ils ressemblaient déjà à de vieilles gens par leur air réfléchi. J’ai vu autrefois de semblables jeunes couples qui avaient l’air très réfléchi et je me disais alors : Ceux-ci sont comme Anne et Joachim.
Ils avaient beaucoup de parents qui se réunissaient chez eux dans toutes les occasions solennelles. Je ne vis pas qu’on y menât grande chère. Je les vis souvent dans le cours de leur vie donner à manger à quelques pauvres, mais je ne vis jamais de festins proprement dits. Quand ils étaient ensemble, je les voyais ordinairement assis par terre en rond ; ils parlaient de Dieu avec un vif sentiment d’espérance. Je vis souvent de méchants hommes de leurs parents qui se montraient pleins de mauvais vouloir et d’irritation lorsque, dans leurs entretiens, ils levaient au ciel des yeux pleins de désir ; mais ils étaient bienveillants pour ces gens si mal disposés, les invitaient chez eux dans toutes les occasions, et leur donnaient double part. Je vis souvent ces personnes exiger grossièrement et brutalement ce que l’excellent couple leur offrait avec affection. »
Saint-Jérôme nous apprend qu’ils vivaient saintement, priant Dieu pour la venue du Messie, (qui d’après la prophétie de Daniel révélée par l’archange Gabriel devait s’incarner à leur époque).
Ils faisaient trois parts de leurs biens. La première était destinée au temple de Jérusalem, et nul n’était plus fidèle qu’eux à s’y rendre aux solennités fixées par la loi. La seconde était distribuée aux pauvres. La troisième servait à l’entretien de la maison.
Saint Vincent Ferrier nous représente ces chastes et saints époux, insistant auprès de Dieu de quatre façons différentes :
« C’était, premièrement, par leurs ferventes et continuelles prières, unies à leurs larmes et aux élans de leur cœur. Si nous voulons savoir ce que durent être ces prières, il nous suffit de considérer la manière dont elles furent exaucées.
Secondement, ils multipliaient les aumônes aux pauvres, ils multipliaient leurs offrandes au temple de Jérusalem, et leurs pèlerinages les y amenaient fréquemment en présence du Seigneur.
Troisièmement, ils se souvenaient de la parole écrite au livre de Tobie, disant que la prière est bonne accompagnée du jeûne, et ce qui ne pouvait être le fruit de leur mariage sera le fruit de leurs mortifications.
Enfin, ils y joignirent une promesse. Tous deux voueraient au Seigneur l’enfant qu’il leur donnerait. »
Après la naissance de leur fille aînée, Marie Héli, leur stérilité dura vingt ans, et alors qu’ils entraient dans la vieillesse, chaque jour semblait venir diminuer leur espoir ; et cependant, en présence de l’âge et de la stérilité, ils ne cessaient pas d’avoir confiance en celui qui, des pierres du désert, peut faire des enfants d’Abraham.
Dieu voulait faire resplendir leur foi dans une dernière épreuve.